mercredi 12 février 2014

Autour du « stalinisme » de Nougé – Réponse à un correspondant / 2



Il faut rappeler que le « stalinisme » de Nougé et de ses « camarades » ne semble pas avoir posé de problème particulier à Debord et à ses amis qui acceptèrent de collaborer aux Lèvres nues « dont le premier numéro, paru en avril 1954, confirme l’adhésion du groupe au parti [communiste] : sur la couverture figure un zodiaque à treize cases, le treizième signe étant le marteau et la faucille. Les deux premiers articles annoncent la couleur : le premier est un extrait d’un discours de Lénine, intitulé par Nougé “Le verre à boire” ; il est suivi de “Les tisseurs de tapis de Kujan-Bulak rendent hommage à Lénine”. Fidélité au parti, mais retour aux origines. »* Les lèvres-nudistes n’étaient-ils pas à l’époque « les seuls types sortables au nord de Paris »** ?

Cela dit revenons à l’engagement communiste de Nougé qui, s’il ne s’est jamais démenti, il a connu différentes phases :

« Juste après la guerre de 1914-1818, le jeune Nougé, déjà biochimiste fait la connaissance de War Van Overstraeten et s’engage à ses côtés dans l’aile gauche radicale du parti socialiste, les Jeunes gardes socialistes du Brabant, un groupe qui compte dans ses rangs bons nombres de sympathisants anarchistes. D’après Van Overstraeten, Nougé fut le seul, parmi les membres des milieux artistiques et littéraires où ils s’étaient rencontrés, à rejoindre les JGS, puis, après la rupture avec le Parti ouvrier belge (POB), dans la section de la troisième internationale fondée en 1920. »

« Le groupe de Van Overstraeten est […] le premier parti communiste belge, il sera suivi, en mai 1921, du parti communiste belge fondé par Joseph Jacquemotte, à la suite de la motion de censure votée contre lui au POB. En septembre1921, les deux groupes fusionnent sur ordre de l’Internationale communiste […]. C’est alors que Van Overstraeten est écarté de la tête du parti au profit de son rival Jacquemotte, nettement moins radical et qui se rangera du côté des staliniens au congrès d’Anvers en 1928. Nougé perdit le contact avec lui […]. / Nougé finit par quitter lui aussi le parti, on ne sait pas quand exactement, mais au plus tard en 1924 — qui est aussi l’année de la bolchevisation du parti en URSS. En tout cas, il n’en faisait plus partie au moment où il a commencé ses activités d’écriture, c’est-à-dire lors de la parution du premier tract de Correspondance en novembre 1924. »

« À la suite de deux articles publiés dans Le Drapeau rouge à propos de l’adhésion des Cinq — Aragon, Breton, Éluard, Péret et Unik — au parti communiste [1927] ; Npugé écrit à Breton et lui demande d’intervenir pour mettre les choses au point. Il en profite pour assurer les Français du soutien des Bruxellois (“Nous vous appuyons de toutes nos forces, cela va sans dire.”) en dépit de leur position divergentes par rapport au PC, et pour réaffirmer sa foi dans leurs objectifs communs et sa confiance dans les méthodes issues de la pensée marxiste (“Le marxisme nous a fourni un instrument admirable : sa dialectique.”) » Breton le prend mal, il allègue des « circonstances particulières » et reproches aux Bruxellois « le plan de désorganisation méthodique, de démoralisation particulière dont Correspondance fut l’expression durable » ; et il insinue même « quoique prudemment que les Bruxellois ne se seraient pas tenu à distance du PC de leur propre gré mais poussés par certains membres du parti ».

Ce n’est qu’après la victoire soviétique de Stalingrad sur les troupes du Troisième Reich que les « surréalistes » bruxellois ont réintégré le Parti : « La prise de position la plus claire figure dans l’allocution de Nougé à l’occasion du vernissage de l’exposition Surréalisme à Bruxelles, le 14 décembre 1945. Elle se termine par ces mots : “Il importe enfin de souligner que sur le plan politique, les surréalistes […] se sont ralliés sans réserve au parti communiste.” Ainsi donc, après avoir tenu bon pendant des années pour conserver leur indépendance et pour exercer leurs facultés critiques les Bruxellois finissent par adhérer au parti, et, qui plus est de façon inconditionnelle. »***


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* Geneviève Michel, Paul Nougé, La réécriture comme esthétique de l’écriture.

** Lettre de Guy Debord à Gil J Wolman du 7 octobre 1954.

*** Les citations qui précèdent sont tirées de Geneviève Michel, op. cit.


(À suivre)

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