vendredi 14 février 2014

Debord et Nougé / 10



« Moi aussi, j’ai mes citations. » L’avantage avec les citations — outre le fait qu’on n’a pas besoin de les écrire —, c’est qu’on ne peut pas incriminer directement celui qui les produit pour ce qu’elles disent. Évidemment, celles-ci ne sont pas choisies au hasard : elles vont dans le sens qu’on leur indique — mais, il faudrait être stupide pour faire le contraire. Qui est de montrer, en l’occurrence, que Debord, à défaut d’être un véritable génie, était un petit malin qui ne manquait pas de talent, notamment celui de savoir utiliser celui des autres quand il le fallait. Et s’il y a un « génie » de Debord, c’est certainement, dans l’agencement des éléments qu’il allait chercher ailleurs pour les réorganiser à sa manière. Mais, comme la matière, la manière vient d’ailleurs. Dans les deux cas, il y a ce qui est revendiqué et ce qui, tout en étant cité à l’occasion, est recyclé mine de rien.

Poursuivons en examinant la méthode Nougé. « Dans un texte des Images défendues […], [il] détaille les diverses méthodes possibles pour isoler l’objet, c’est-à-dire pour rompre “d’une manière plus ou moins brutale, plus ou moins insidieuse avec le reste du monde”, le rendant ainsi apte à être perverti ou transformé, en d’autre terme à être détourné. / […] / Les techniques énumérées par Nougé sont diverse et variées : le couteau ou découpage physique ; le cadre ou découpage extérieur à la peinture ; la déformation ou modification dans la substance de l’objet ; le changement d’échelle ; le changement de décors ou dépaysement. Toutes ces méthodes ont trait à la peinture, sur laquelle porte le texte en question, mais une adaptation est évidemment possible pour l’écriture. / […] / Le texte se termine sur une précision méthodologique essentielle, en affirmant que les interventions les plus discrètes sont aussi les plus efficaces : “L’intervention aussi minime que décisive, il conviendrait ici de parler d’un certain goût du mystérieux que l’on découvre chez quelques esprits, sans doute d’importance capitale, et qui les entraîne à prendre les éléments de la création aussi près que possible de l’objet à créer ; jusqu’à tendre à cette situation presque idéale où la chose souhaitée naîtrait par l’introduction d’une seule virgule, d’une page d’écriture ; d’un tableau de complexe peinture, par le jeu d’un seul trait noir.” / Cette idée fondamentale pour l’étude des détournements nougéens, se retrouve dans l’article de Debord et Wolman [Mode d’emploi du détournement] et constitue la deuxième de leurs “lois sur l’emploi du détournement” : “Les déformations introduites dans les éléments détournés doivent tendre à se simplifier à l’extrême, la principale force d’un détournement étant fonction directe de la reconnaissance, consciente ou trouble par la mémoire.” »*

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* Toutes les citations (sauf une) sont (évidemment) de (l’excellente) : Geneviève Michel, Paul Nougé, La réécriture comme esthétique de l’écriture.


(À suivre)

3 commentaires:

  1. Debord était selon vous "un petit malin" ? mais vous, qu'êtes-vous donc sinon un gros malin si aisément prévisible et programmé ? Voyer vous a chié dans le cerveau il y a plus de 20 ans, et on constate ce qu'il en reste…
    Pour en revenir à l'ouvrage de Geneviève Michel que vous encensez, ci-après un lien vers la recension de sa thèse par Frédéric Thomas (dont vous référenciez précédemment un de ses textes).
    http://revuesshs.u-bourgogne.fr/dissidences./document.php?id=1451

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  2. Je précise : je voulais dire, ce merdeux de Voyer vous a chié dans le cerveau, est-ce plus clair ?

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  3. Je viens de découvrir ce blog qui me cite amplement, ce qui j'apprécie, évidemment. Il est bon d'y ajouter la recension de Frédéric Thomas, qui m'adresse des critiques souvent justifiées (et parfois moins, mais bon…). Elles ont abouti à d'intéressants échanges et à une amitié, qui m'intéressent davantage que l'insulte. Je voudrais aussi ajouter que, plutôt que de citer ma thèse, il serait préférable de citer l'ouvrage qui est paru chez PIE/Peter Lang en 2011: "Paul Nougé, la poésie au cœur de la revolution". Il reprend la thèse que vous citez, mais avec quelques corrections et mises à jour, mais aussi pas mal de suppressions qui l'allègent. Geneviève Michel

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