jeudi 27 février 2014

Réponse à un correpondant



Je pense que Pagnon devait être de la génération de Martos. Voilà comment Debord réagit à sa mort dans sa réponse à une lettre de Martos qui devait aborder le sujet : « J’avais appris le suicide du camarade Pagnon, et je crois que tu le commentes très justement. En fin de compte, et plus ou moins vite, tout le monde s’use. Certains, pour ce qu’ils ont eu le courage de refuser et de risquer. Et d’autres pour ce qu’ils ont eu la bassesse d’accepter, en s’accommodant d’un pauvre confort, à la Ratgeb ; ou en mentant plus habilement comme un ministre, avant ou pendant son ministère, comme les Semprun. » (Correspondance, vol. 7, Lettre à Jean-François Martos, 24 février 90.)

Si Debord semble avoir apprécié le premier livre de Pagnon : En évoquant Wagner, ce n’est pas le cas du second dont il écrit à Floriana Lebovici : « Je vous dirai sans ambages que c’est un livre qui ne me paraît même pas mériter d’être lu ; encore moins d’être publié aux éditions G[érard] L[ebovici] ; en tout cas sous cette forme. » ; et il termine son « exécution » du livre en question dont il ne cite même pas le titre (‘Le titre imbécile et pompeux est la chose la plus facile à corriger. ») par : « C’est l’exemple, non seulement du livre absolument manqué, mais du livre qui ne pouvait pas être réussi puisqu’il n’y a aucune sorte de nécessité ni de maîtrise du sujet. » (Correspondance, vol. 6, Lettre du 22 novembre 84.)

Par ailleurs j’ai revu votre traduction de la Préface d'Amorós et corrigé quelques menues imperfections. Je peux vous faire parvenir cela, si vous le désirez.

9 commentaires:

  1. Debord était un peu rude, mais il faut dire que Champ Libre avait publié certaines choses assez moyennes dans les années 70 sous l'égide de Guégan (et même plus tard), l'intransigeance était donc nécessaire sur la question de la qualité et de la pertinence des textes à publier.

    J'avoue que l'histoire des personnes qui gravitèrent autour de Debord, comme Martos, Pagnon, Migeot, Moinet, Denevert, ou les anecdotes racontées par Amoros dans sa préface m'intéressent beaucoup. Ce sont des personnes qui ont très peu parlé d'elles-mêmes, on n'en sait donc pas grand-chose, même pas la date de naissance dans le cas de Pagnon.

    Je vous remercie pour les corrections du texte, vous seriez aimable de me les envoyer à cette adresse : izzyisgnr@aim.com

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    1. Dire que Debord était « un peu rude » est un euphémisme, pour le moins. La vérité est que Debord était dénué de la moindre compassion (ou même de compréhension) vis-à-vis de « camarades » qu’il jugeait coupables de ne pas avoir su rester à la hauteur de ce que lui pensait qu’il était en droit d’en attendre. C’est une constante dans toutes ses relations. Et je ne pense pas qu’on puisse parler là « d’intransigeance ». De plus, il faut distinguer les époques : au début Debord était entouré majoritairement de gens qui étaient de sa génération. La différence avec les « Martos, Pagnon, Migeot, Moinet, Denevert » vient du fait qu’il est un ainé prestigieux que l’on recherche. Ils ne sont plus des « égaux » — si tant ait qu’il ait voulu avoir des égaux —, ce sont des disciples auxquels on ne doit rien laisser passer. On peut évidemment trouver son comportement « admirable ». Mais, on voit bien que c’est plutôt pitoyable.

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    2. @Slashead
      Allez, mon gars, démerdez-vous maintenant avec Lucarno-Bartolucci, on vous la souhaite bien amusante avec ces stupides considérations sur Debord « dénué de la moindre compassion (ou même de compréhension) vis-à-vis de "camarades" qu’il jugeait coupables de ne pas avoir su rester à la hauteur de ce que lui pensait qu’il était en droit d’en attendre ». C'est pas grave puisque cet idiot ne sait même pas lire sa correspondance…
      Mais Lucarno-Bartolucci est maintenant devenu un "auteur" comme Martos, Pagnon, Migeot, Moinet, Denevert, Amoros, et ça impressionne le petit milieu pro-anti-post-situ.
      Bon courage !

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    3. Ah, j'oubliais Slashead – c'est fou comme l'on peut parfois être distrait – il faut ajouter à la liste de vos auteurs « qui gravitèrent autour de Debord », l'incommensurable Voyer, celui dont l'œuvre théorique (de quoi, on se le demande) éclaire encore les nuits de Lucarno-Bartolucci – et comme celui-ci dirait : creuser l'expression !

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  2. M. Lucarno, vous avez écrit : "La différence avec les « Martos, Pagnon, Migeot, Moinet, Denevert » vient du fait qu’il est un ainé prestigieux que l’on recherche. Ils ne sont plus des « égaux » — si tant ait qu’il ait voulu avoir des égaux —, ce sont des disciples auxquels on ne doit rien laisser passer. On peut évidemment trouver son comportement « admirable ». Mais, on voit bien que c’est plutôt pitoyable."


    Pour ma part, ce que je trouve un peu pitoyable, c'est que de jeunes gens soient d'accord d'être des disciples et cherchent le patronage d'un aîné prestigieux. On le voit bien avec un Sollers qui depuis des décennies se prête au jeu que Debord refusa (récemment c'est avec des Haennel ou des Meyronnis que Sollers pose en vieux sage).

    Debord devait se souvenir de sa propre jeunesse lorsqu'il rejetta tous les "aînés prestigieux" de son époque (Breton, Isou, Sartre, etc.). C'est pourquoi, il méprisait les jeunes qui, se disant rebelles, acceptaient néanmoins d'être ses disciples. Peut-être que ce qu'auraient dû faire les Martos, Pagnon et autres Denevert était de rompre avec Debord et voler de leurs propres ailes, mais pour cela il faut des capacités et des talents que peut-être ils n'avaient pas... C'est le prestige de Debord qui les attiraient, Debord en était conscient et il refusa de se comporter en pape ou en professeur, il refusa aussi que certains se construisent une réputation de révolutionnaires simplement en publiant chez Champ Libre.

    Il n'accepta d'être en relation qu'avec les gens pour qui il ressentait de l'estime, une fois qu'il ne ressentait plus d'amitié, il rompait. C'est tout à fait légitime.

    Avec le cas de Jaime Semprun, on voit qu'il rompit avec lui, mais que plus tard, il accepta de renouer car Semprun avait démontré ses talents en écrivant de bons textes comme "La Nucléarisation du monde" et en lançant l'Encyclopédie des Nuisances. C'est ainsi que Semprun regagna l'estime de Debord : en volant de ses propres ailes, sans rechercher le prestige de Debord ou de Champ Libre.


    @Alex, un blog est fait aussi pour discuter,proposer des avis différents, je ne vois pas pourquoi nous devrions être d'accord sur tout, ou tomber immédiatement dans l'insulte en raison de désaccords.

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  3. Alex, vous écrivez : "Mais Lucarno-Bartolucci est maintenant devenu un "auteur" comme Martos, Pagnon, Migeot, Moinet, Denevert, Amoros, et ça impressionne le petit milieu pro-anti-post-situ."


    Je répondrai simplement que si vous ne faisiez pas partie de ce "petit milieu pro-anti-post-situ", vous ne seriez pas ici à vous énervez sur les propos de M. Lucarno..

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  4. errata : à vous énerver


    D'ailleurs, Debord ayant toujours affirmé son indifférence aux critiques, je ne vois pas pourquoi vous prenez celles de M. Lucarno aussi à coeur.

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  5. Etant proche de la critique situationniste, Francis Pagnon n'aurait jamais accepté d'être désigné comme musicologue français, comme philosophe ou comme une quelconque autre forme de spécialiste. On peut dire de lui qu'il fut un marginal et un autodidacte, et surtout un révolutionnaire.

    Francis Pagnon est né dans le territoire de Belfort, dans une famille ouvrière, pauvre et violente. Ayant tôt rompu avec elle, il ne renia jamais, pour autant, son origine sociale. C'est en autodidacte qu'il acquit une vaste culture (il fut polyglotte, féru de philosophie, musicien) mais ne concevait pas d'autre usage de cette culture que critique et révolutionnaire. Evitant toute forme d'intégration sociale, il s'efforça toute sa vie d'amener ses relations à partager cette orientation et n'eut pour horizon que celui d'un renversement de l'ordre capitaliste (comme en témoigne sa lettre du 9 septembre 1988 adressée à Jean-Pierre Baudet depuis le village thaïlandais proche de la frontière birmane où Pagnon vécut).

    Sur le plan musical, et en dépit d'une scolarité absente, Pagnon se forma en harmonie et en analyse musicale (avec Narcis Bonet, qui lui reconnut en réel talent dans ce domaine). Il apprit pendant quatre ans à jouer du piano, composa des chansons, mais sa passion prédominante portait sur l'oeuvre de Richard Wagner. Pagnon considérait qu'on trouvait, en particulier dans la Tétralogie, l'héritage du passé révolutionnaire de Wagner, qui fut proche de Bakounine, et n'acceptait pas le rejet dont Wagner fait l'objet en raison de l'antisémitisme et du pangermanisme dont on l'accusait sous prétexte que les nazis s'étaient emparés de sa musique.

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  6. Pagnon vécut de façon précaire à Londres (où il s'était enfui avant d'avoir atteint sa majorité, et d'où il fut expulsé après l'expiration de son visa) et, plus tard, à Cologne. En France, il vécut à Tours et dans le dix-huitième arrondissement parisien.

    Refusant toute activité professionnelle pouvant être considérée comme bourgeoise, Pagnon mena une vie totalement désargentée, ne travaillant que dans des conditions misérables.

    Depuis son jeune âge, il souffrait d'une paralysie du nerf auditif qui ne cessa de s'intensifier et de le condamner à une surdité en constante augmentation, de plus en plus pénible pour un musicien.

    Le seul livre publié de son vivant, En évoquant Wagner, fut réalisé en 1981 avec le soutien bienveillant de l'éditeur Gérard Lebovici, lui-même musicien. Cette constellation heureuse ne se reproduisit pas, puisqu'en 1984, déjà très diminué, Pagnon proposa au même éditeur un manuscrit impossible à publier en l'état.

    Dans le conflit opposant en 1987 Jean-François Martos, Jean-Pierre Baudet et (clandestinement) Guy Debord à l'Encyclopédie des Nuisances, Pagnon prit position avec passion en faveur des premiers.

    Pagnon était l'exemple même de l'écorché vif, ne sachant moduler son empathie pour son entourage. Après une longue période passée dans un village du nord de la Thaïlande (région de Chiang Maï), déçu par son impuissance devant la misère locale comme devant l'évolution de la société en France, ne se sentant plus chez lui nulle part et tombant dans un alcoolisme avancé, Francis Pagnon s'est donné la mort par pendaison le 11 janvier 1990.

    Francis Pagnon était très conscient de s'opposer, avec son livre, au musicologue critique le plus réputé, Theodor W. Adorno, et il ne manquait pas de relever que contrairement à celui-ci, Richard Wagner lui paraissait plus subversif que Mahler, Schönberg et Berg, qu'il aimait pourtant beaucoup. En revanche, cette fois à l'instar d'Adorno, Pagnon détestait le jazz.

    *En 1984, un manuscrit fut refusé par les Editions Champ libre sur l'instigation de Guy Debord.
    *Un certain nombre de manuscrits laissés à la mort de Pagnon, non publiés, comprennent des traductions d'auteurs de théâtre allemands (Die Albigenser, de Nikolaus Lenau; Hinkemann, d'Ernst Toller), une étude intitulée Lenau et le refus de la réconciliation, et des études sur la Métaphysique d'Aristote.

    Jean-Pierre Baudet

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